Texte de notre intervention, lu à 2h du matin devant les jeunes réunis à Notre-Dame
d’Afrique.Avec quelques-unes des photos qui accompagnaient le texte.
" Nous sommes Anne et Hubert, mariés depuis 37 ans, parents et
grands-parents. Nous sommes des volontaires français, venus cette année pour assurer l’accueil au monastère de Tibhirine. Certains d’entre vous connaissent ce monastère ou en ont entendu parler.
Il se situe près de Médéa, à 100 km au sud d’Alger.
En mars 1996, sept moines y ont été enlevés. Ils ont été tués deux mois plus tard. Personnellement, nous n’avons pas connu ces moines. Il y a encore en Algérie
aujourd’hui bien des personnes qui les ont connus et qui pourraient vous en parler mieux que nous. Ces sept moines ont été victimes de la violence qui a sévi en Algérie dans
les années 90. Ils sont loin d’être les seuls. Mais, leur enlèvement et leur mort ont laissé un message qui marque l’Eglise d’Algérie.
1- Qu’est-ce qu’un moine trappiste ? à Tibhirine
La communauté de Tibhirine était une communauté de moines trappistes : ils suivaient la règle de saint Benoît . C’est une vie contemplative qui se résume par ces
mots : « Ora et Labora », ce qui signifie : « prie et travaille ».
Cette vie est une manière de vivre l’évangile.
Les moines étaient venus d'univers différents, avec chacun son histoire. Ils avaient fait le choix de venir vivre leur vie
de prière à Tibhirine en Algérie.
Frère Christian était leur prieur (leur responsable) depuis 1984 ;
frère Christophe résumait ainsi leur choix de vie : "Notre mission d’Evangile, c’est de vivre la Bonne Nouvelle de la
relation avec les musulmans "
Prie et travaille . La prière
La vie trappiste se caractérise par une vie volontairement menée à l’écart du monde afin de favoriser ce qui en
constitue le cœur : la prière. Les moines se retrouvent sept fois par jour pour prier et chanter ensemble et pour célébrer l’Eucharistie ; Ils ont aussi des temps de prière silencieuse,
de lecture de la Bible qui sont pour eux une façon de « prendre le temps de la rencontre avec Dieu ».
Chaque matin les moines se réunissent en chapitres afin d'échanger les nouvelles, commenter l'actualité, se concerter et prendre des décisions en communauté. Cette vie de trappiste se
vit ainsi dans les monastères du monde entier.
La vie à Tibhirine avait des particularités ; les moines étaient des priants parmi d’autres priants ; ils avaient fait le choix de vivre leur prière dans
un monde musulman. Ils étaient, disaient-ils « dans la Maison de l’Islam ». Et ils voulaient rejoindre Dieu dans sa Parole, mais aussi le reconnaitre présent dans ces autres
frères priants que sont les musulmans.
Prie et travaille . Le travail
La vie trappiste est aussi une vie de travail, 6 à 8 heures par jour ; un travail plutôt manuel. Les moines de Tibhirine vivaient de leur travail
agricole : Frère Christophe était l'agriculteur du monastère et partait chaque matin travailler sur l’exploitation avec des algériens. Frère Paul organisait l’irrigation des cultures et assurait
l’accueil à l’hôtellerie, frère Christian s’occupait des abeilles, Frère Amédée a donné des cours aux enfants du village avant d’aider Frère Luc.
Luc était le cuisinier du monastère mais il était aussi médecin, il tenait une consultation médicale dans le dispensaire du monastère. Frère Luc a soigné
gratuitement pendant cinquante ans à Tibhirine. Il a beaucoup marqué les habitants de cette région.
Le partage
Avec la prière et le travail, le partage et l’hospitalité sont des maitres mots dans la vie à Tibhirine ; l’accueil de la Parole de vie est inséparable
de l’accueil des vivants.
A l’hôtellerie, les moines assuraient l’accueil des chrétiens de l’Eglise d’Algérie qui avaient besoin de silence et de prière ; Dans le groupe du
Ribât-el-Salam qui regroupait chrétiens et musulmans soufis ils vivaient un partage de vie et de prière.
Dans la vie quotidienne, ils entretenaient de bonnes relations avec le voisinage, vivaient un partage de soucis et de joies mais aussi le partage du
matériel et même d’une salle de l’abbaye pour devenir la salle de prière qui manque au village. Ils participaient aux repas de fêtes musulmanes, comme la fin du ramadan. Les villageois eux,
s’associaient aux grandes fêtes chrétiennes : un couscous réunissait bien souvent les moines et les habitants du village
La vie monastique pratiquée par ces moines fut un véritable trait d’union entre les mondes musulman et chrétien. Des Algériens souhaitèrent que des moines restent
avec eux, parce que des liens d’amitié, de coopération et de solidarité s’étaient tissés Leur louange de « priants parmi les priants de l’islam » reflétait confiance et
communion.
La communauté de Tibhirine a traversé des périodes difficiles mais sa présence a toujours pu être sauvegardée jusque dans les années 90. Lorsqu’en 1992, une
flambée de violence commence à embraser Alger, la vie continue autour du monastère avec des gestes de partage et de paix ; en 94 un groupe islamiste lance un ultimatum aux étrangers afin
qu’ils quittent le pays et des croates sont assassinés tout près de Tibhirine ; La communauté est bouleversée et cherche quelle décision prendre : partir progressivement, partir tous
ensemble, rester ?
Dans leur hésitation, Christian a dit à Mohammed, un habitant du village, « nous sommes comme l’oiseau sur la branche » et Mohammed a répondu :
« oui, mais l’oiseau c’est nous et la branche c’est vous ; si on coupe l’arbre, où l’oiseau va-t-il se poser ? ».
Les frères ont continué la vie monastique comme Marie au pied de la croix ; ils sont restés avec une « espérance à perte de vie » . Ils ont été enlevés en mars 1996 et tués le 21
mai 1996.
2-
Tibhirine aujourd’hui ?
Peut-être pouvons-nous rapprocher le vide qui règne aujourd’hui au monastère, du tombeau vide que les apôtres Pierre et Jean ont trouvé au matin de Pâques.
En parlant de lui-même, Jean écrit qu’après avoir constaté que le tombeau était vide : « il vit et il crût ».
Tibhirine est actuellement un monastère vide mais, pour nous, il peut être un appel à croire. Ce monastère vide nous interroge. Il reste un signe pour
chacun de nous. Ce que les moines y ont vécu, leur disparition même sur cette montagne nous interpelle.
Comme le Christ au matin de Pâques, les moines sont entrés dans une vie nouvelle. Ce qu’ils ont vécu peut être source de vie pour chacun de nous, c’est l’espérance
d’entrer dans une vie nouvelle dès maintenant. C’est le rappel du matin de Pâques tous les jours.
Nous pouvons relever quelques-uns des signes qu’ils nous ont laissés :
Ils nous ont laissé le signe de la
fraternité : ils
avaient fait le choix de vivre en communauté pour prier , pour travailler pour accueillir ; dans une période difficile, ils ont su s’écouter, s’interpeller ; ils ont prié ensemble avant
de prendre des décisions ; ils se sont attendus, attentifs au cheminement de chacun ; ils ont été de vrais frères les uns pour les autres. Ils ont été frères de ceux qui vivaient autour
d’eux en les écoutant et en les accompagnant dans ces temps de souffrance ; c’est en communauté qu’ils ont pris cette décision
personnelle et commune : demeurer à Tibhirine quoiqu’il arrive. Ils ont vécu la fraternité jusqu’au bout.
Ils nous ont laissé le signe de la paix
Par leur vie de partage en Algérie auprès de musulmans, ces frères ont manifesté que la paix entre les peuples est un don de
Dieu et qu’il revient aux croyants de vivre ce don ici et maintenant par le respect mutuel, l’accueil de l’autre dans sa différence, le partage du quotidien de la vie avec ses joies et ses
peines. Avant d’être signes pour nous, ils ont été signes pour leurs voisins « témoins d’une paix et d’une fraternité possibles, par la grâce de Dieu, à travers leurs
diversités ».
Ils nous ont laissé le signe de la prière
Les visiteurs de Tibhirine découvrent souvent avec étonnement que ces frères trappistes se retrouvaient 7 fois par jour pour prier ensemble. Pour eux,
l’appel à la prière était prioritaire Et, dans ce contexte de violence, ils se sont tournés vers Dieu. Ils ont pris le livre de la Parole de Dieu quand d’autres ont pris les armes :
« Seigneur viens à notre aide, Seigneur à notre secours ».
Ils nous ont laissé le signe du pardon
Aujourd’hui encore, ils nous invitent à nous nourrir de la Parole de Dieu, à nous laisser transformer par la prière jusqu’au pardon possible. Dans son testament,
écrit à l’avance, le frère Christian a souhaité pardonner à celui qui pourrait l’avoir tué. Après la mort des moines, ce testament a fait le tour du monde. Il porte à la connaissance de tous
l’esprit d’amour qui a traversé cette petite communauté enfouie dans un coin perdu d’Algérie.
Ils nous ont laissé un signe de fidélité
Les trappistes s’engagent à vivre toute leur vie sur le même lieu ; frère Christian le disait ainsi : « C’est une grande joie
inaltérable, avec la certitude que Dieu nous a appelés non seulement à vive la vie monastique mais à la vivre ici à Tibhirine… »
Frère Christophe dit : « On habite ensemble une terre d’espérance. On la travaille. On y vit. On y prie. On y demeure jusqu’à l’heure de mourir.
Ensemble on habite ta main. De ce bonheur ouvert, qui pourrait nous déloger ? ».
Chacun de nous est invité à découvrir à quelle fidélité il est appelé et comment il peut la vivre avec bonheur dans la main de Dieu.
Il nous ont laissé le signe de la Visitation
Cette communauté de Tibhirine souhaitait être un signe de Visitation à la manière de Marie, rendant visite à Elisabeth. Les moines voulaient vivre
continuellement dans l’attitude de Marie au moment où elle arrive chez sa cousine : aller au devant de l’autre, être attentif à ses besoins pour lui rendre service et lui communiquer sa joie
d’une bonne nouvelle à partager. Christian de Chergé, le prieur du monastère, l’a fort bien exprimé dans un petit texte dont nous allons lire des extraits en forme de conclusion :
Tableau du peintre Arcabas
« J’imagine assez bien que nous sommes dans cette situation de Marie qui va voir sa cousine Elisabeth et qui porte en elle un secret vivant qui est
encore celui que nous pouvons porter nous-mêmes, une Bonne Nouvelle vivante.
[…] Et elle ne doit pas savoir comment s’y prendre pour livrer ce secret. Va-t-elle dire quelque chose à Elisabeth ? Peut-elle le dire ?
Comment le dire ? Comment s’y prendre ? Faut-il le cacher ?
Il en est ainsi de notre Eglise qui porte en elle une Bonne Nouvelle – et notre Eglise c’est chacun de nous – et nous sommes venus un peu
comme Marie, d’abord pour rendre service (finalement c’est sa première ambition) … mais aussi, en portant cette Bonne Nouvelle ;
Nous ne savons comment nous allons nous y prendre pour la dire... Mais nous savons que ceux que nous sommes venus rencontrer,
ils sont un peu comme Elisabeth, ils sont porteurs d’un message qui vient de Dieu. »
Pour préparer cette présentation, nous nous sommes inspirés d’un petit livret intitulé
« Tibhirine-La fraternité jusqu’au bout » aux éditions du Signe de Mgr Henri Tessier et Marie-Dominique Minassian ; paru en 2012 ; 38 pages.